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Perspectives nouveau Monde

Du sport national sans éducation?

Bruno-Marie Béchard, ingénieur, professeur et recteur

L'ingénieur (et ex-joueur de la LNH) Joé Juneau, tout comme l'étudiant en génie (et hockeyeur) Alex Lord, de Magog, osent clamer haut et fort que la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) est devenue la voie royale… vers un cul-de-sac personnel! C'est aussi ce que réalisent de plus en plus de hockeyeurs et de Québécois en général.

La LHJMQ a beau tenter de convaincre le public de l'inverse, on peut facilement juger l'arbre à ses fruits… Même de célèbres produits de la Ligue, comme le jeune retraité de 33 ans Jocelyn Thibault, que je rencontrais récemment, souhaitent changer les choses pour que les jeunes hockeyeurs puissent se développer comme il se doit dans un contexte scolaire.

En effet, pas besoin d'un doctorat ni d'une boule de cristal pour se rendre compte que l'éducation devient de plus en plus essentielle pour assurer un avenir de qualité à nos jeunes sur le marché de l'emploi qu'ils connaîtront au cours des prochaines décennies. Dans ce contexte, comment diable pourrions-nous continuer d'encourager nos jeunes à s'engouffrer dans une voie sans études?

Voilà pourquoi il faut saluer le courage et la vision des instigateurs du retour au Québec d'une ligue collégiale de hockey, avec notre sport national bien intégré aux études. Ainsi, le hockey favorisera, comme le football et les autres sports, la persévérance dans les études plutôt que de constituer une incitation ouverte au décrochage scolaire.

Tous réalisent que l'éducation des hockeyeurs leur assurera un meilleur plan B s'ils ne font pas partie des 2,6 % qui joueront un jour un match dans la LNH, de même qu'une carrière plus intéressante après leur retraite du sport. Car même les Maurice Richard et les Bob Gainey ont pris leur retraite dans la trentaine, avec encore toute une vie devant eux!

Mais il ne faut pas oublier que l'éducation assurera aussi aux hockeyeurs un meilleur plan A, en développant chez eux des compétences scientifiques, humaines et communicationnelles qui en feront de meilleurs joueurs et des athlètes plus accomplis.

Lorsqu'un groupe de diplômés de l'UdeS de la région montréalaise m'a proposé, en 2002, de mettre sur pied une équipe de hockey universitaire Vert & Or, le contexte s'y prêtait très mal : aucune installation physique adéquate à l'Université et aucune ligue masculine collégiale ni universitaire en place au Québec. Leur motivation a alors dû se canaliser vers le football Vert & Or, lequel, malgré tous les oiseaux de malheur qui ont failli convaincre le conseil d'administration de bloquer le projet défendu par le recteur, s'est avéré le formidable succès que l'on célèbre aujourd'hui. Toute la chaîne éducationnelle à Sherbrooke s'est développée depuis, avec un superbe effet sur la motivation des garçons pour les études.

Il faut maintenant que le hockey universitaire puisse jouer le même rôle, chez les filles comme chez les garçons, en poussant les joueurs collégiaux à se dépasser sans qu'ils soient contraints à étudier en anglais et à s'expatrier aux États-Unis. Avec un effet d'entraînement sur l'ensemble de la chaîne scolaire, les jeunes hockeyeurs et leurs parents auraient désormais accès à un autre modèle où la pratique du sport n'entrerait pas en conflit avec les études, et ce, à tous les âges. Si le gouvernement québécois ou des promoteurs devaient aujourd'hui avoir le flair de rendre possible le déploiement d'infrastructures appropriées dans des universités francophones, alors il serait du devoir de l'Université de Sherbrooke de répondre à l'appel, et ce, autant pour les étudiantes que pour les étudiants.

Devant l'admirable leadership collégial en la matière, le Québec a sans conteste un important rendez-vous avec l'histoire. Qui gagnera ce match décisif? Ou plutôt qui gagnera nos jeunes Québécois talentueux? Des intérêts commerciaux comme ceux qui animent la LHJMQ ou la vocation formatrice de notre réseau éducationnel? La ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport actuelle saura-t-elle soutenir fortement le réseau d'éducation dans ce sens? Pourrons-nous faire du hockey un nouvel instrument pour intéresser les jeunes aux études et ainsi contrer le lamentable et fort préoccupant fléau du décrochage scolaire, particulièrement chez les garçons?

La question doit être abordée en ayant en tête le contexte dans lequel évolueront nos jeunes au cours des prochaines décennies.  Ce qui a convenu au passé n'est probablement pas ce qui conviendra à l'avenir…